Hier dimanche, la Française Camille Muffat est devenue la première championne olympique de la délégation française, en remportant le 400 mètres nage libre, aux JO 2012 de Londres. Elle n’était alors que la cinquième médaillée de la natation française, dans l’histoire des Jeux Olympiques. Mais voilà, quelques minutes à peine après elle, les quatre sprinteurs du relais 4X100 français ont eux aussi touché de l’or. En soufflant la vedette aux américains… Autant qu’à Camille Muffat qui n’a pas eu droit, ce lundi dans la presse, à pareille considération médiatique que les hommes.
Témoin la Une de L’Equipe qui met en avant la performance du relais français, accordant beaucoup moins de place à la nageuse niçoise. Cela n’a pas échappé à Fabienne Broucaret, journaliste et auteur du livre « Le sport féminin – Le sport, dernier bastion du sexisme », dans lequel elle dresse l’état des lieux du sport féminin d’hier à aujourd’hui et le (long) chemin restant encore à faire avant qu’hommes et femmes ne jouent sur un même terrain d’égalité. A performance égale, selon elle, ce sont toujours les hommes qui priment. Même si les choses évoluent à mesure que les mentalités progressent, le sport ne serait pas aussi universel que l’on veut bien le prétendre. Explications…
On vous sent très remontée contre la Une de L’Equipe ce matin (voir son billet, à ce sujet, sur son blog Sportissima)…
Fabienne Broucaret: Oui, beaucoup. Quand je dis que le sport féminin est sous-médiatisé, on me répond souvent que les femmes sont moins performantes, qu’elles n’ont qu’à faire de bons résultats pour faire la Une. En bref, la Une, ça se mérite ! Or, là, Camille Muffat a réalisé un exploit de la même ampleur que le relais masculin. Elle a gagné l’or, comme eux, en natation, comme eux. Or, ils occupent la Une de L’Equipe, seuls avec d’immenses photos, elle est reléguée dans un petit carré. C’est énervant et décourageant : cela montre bien que faire de belles performances ne suffit pas pour que les championnes existent sur la scène médiatique. Je veux bien que le relais occupe une place prépondérante car c’est la première fois que l’on gagne l’or sur cette épreuve, mais quand même un tel déséquilibre, c’est fort ! Camille Muffat est seulement la deuxième nageuse à remporter l’or olympique après Laure Manaudou. Sans oublier que Céline Goberville et Priscilla Gneto n’ont même pas eu le droit à leur photo en Une, malgré leurs médailles. Heureusement, l’intérieur du journal est plus équilibré.
Accorde-t-on suffisamment d’intérêt au sport féminin depuis le début de ces JO ?
En matière de retransmission télé, oui. On voit autant les exploits de nos champions que de nos championnes lors des directs. Dans la presse, on s’attarde forcément plus sur les sportives très médiatiques comme Laura Flessel et Laure Manaudou, moins sur les autres. Mais les JO sont quand même l’exception qui confirme la règle : l’équipe de France est médiatisée dans son ensemble, homme comme femme, même pour les disciplines les moins connues. C’est la magie des Jeux ! On a beaucoup parlé des filles hier car elles ont ouvert le compteur français, ce qui leur a donné une visibilité supplémentaire. Tant mieux !
Quatre des cinq premières médailles françaises ont été gagnées par des femmes. Ca doit vous faire plaisir…
Oui, mais le bilan se fera à la fin des Jeux. Les femmes avaient été peu performantes à Pékin en 2008 avec seulement 7 médailles sur les 41 du clan français. Elles sont bien parties pour faire mieux cette année, je croise les doigts.
Quelles conclusions en tirez-vous ?
Il est trop tôt pour tirer des conclusions, rendez-vous à la fin des JO pour cela.
Que peut-on, finalement, souhaiter de ces JO ?
J’espère que ces JO vont susciter un engouement sur le long-terme pour le sport féminin, de la part du public et des médias, mais aussi des vocations. Le fait de montrer des femmes briller peut donner envie à des jeunes filles de se mettre au judo, à la natation ou encore à l’athlétisme. C’est une très belle vitrine, très populaire et très médiatique, mais il ne faut pas que l’intérêt retombe le 13 août ! Je souhaite aussi que ces JO nourrissent des réflexions plus générales sur la place des femmes dans le sport : combien de femmes entraîneurs, arbitres, présidentes de fédérations olympiques ? Trop peu ! Profitons donc des quatre années à venir pour impulser un changement, pourquoi pas avec des quotas comme en politique. Et rendez-vous dans quatre ans pour voir les résultats.
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« Le Sport, dernier bastion du sexisme ? » Ou comment tordre le coup aux idées reçues, par Fabienne Broucaret…
« Ca me tenait à coeur de donner la parole à des sportives que l’on ne connaît pas toujours pour montrer, à travers leurs exemples, les inégalités qui existent encore entre les hommes et les femmes dans l’univers du sport. Mais je ne voulais pas en faire des victimes. Plutôt montrer qu’au contraire, il existe des solutions… » Si la planète entière à les yeux rivés sur Londres, qui sait qu’à l’origine, ils ont été interdits aux femmes, par la seule volonté de Pierre de Coubertin, père fondateur des JO ? Saviez aussi qu’en moyenne – et exception faite des Jeux de Pékin en 2008 décevant de ce point de vue -, les athlètes françaises sont de meilleurs pourvoyeuses de médailles que les hommes, proportionnellement au nombre d’engagées ?… Et pourtant les disparités sont énormes, dans la presse, sur la fiche de paie et sur la nécessité, pour les femmes, d’être un peu plus que d’excellentes sportives. Dans la majorité des cas, il faut aussi qu’elles soient belles.
« Beaucoup de sportives acceptent ce côté glamour », explique Fabienne Broucaret. « Victoria Ravva (volleyeuse professionnel à Cannes, ndlr) dit clairement : « On ne parle pas de nous dans la presse ». Elle y voit un moyen de communication qu’elle accepte et assume. De la même façon que la surfeuse Pauline Ado me confiait que le glamour comptait aussi dans les négociations menées avec les sponsors ». Mais à trop vouloir miser sur le sex-appeal des athlètes féminines plus que sur leurs qualités sportives, certaines campagnes vont trop loin et ratent complètement leur cible. Exemple au très huppé club de basket de Bourges qui n’a rien trouvé de mieux pour sa promo, la saison dernière, que de mettre à l’affiche un fessier posé à côté d’un ballon de basket…
Des exemples, à éviter ou même à suivre, Fabienne Broucaret en a compilé plusieurs dans cet ouvrage qui met en lumière les difficultés inhérentes à la pratique du sport professionnel pour une femme et donne encore plus de résonance aux exploits de certaines championnes.