En 2019 et 2020, le Tour de France a enregistré des audiences records. Si le spectacle sportif y est pour beaucoup, Alexandre Pasteur n’est pas étranger à cette équation. Voilà quatre ans, que cet amoureux du sport et du ski, a quitté son cocon d’Eurosport, pour l’audience plus large de France Télévision. Désormais familier des téléspectateurs, il revient pou sportune sur ses débuts, notamment le difficile accueil reçu de certains, sur les réseaux sociaux.
Alexandre Pasteur, vous avez donné votre vie professionnelle au sport. Était-ce une vocation ?
Absolument. Le sport a toujours occupé une place centrale dans ma famille. Mes grands-parents et mon père ont été très impliqués dans la vie associative locale, en dirigeant des clubs de ski de fond, de foot et de tennis. Ils ont su me transmettre cette passion du sport. En plus d’avoir pratiqué un certain nombre de disciplines, je me souviens de la dimension presque cérémonielle des grands évènements sportifs, que nous vivions en famille. Je m’en rappelle d’autant plus, que cette fibre sportive s’est manifestée très tôt. Dès l’âge de six ans, je regardais le Tour de France et les Jeux Olympiques, fasciné par le spectacle qui était proposé par les athlètes. Les années passant, loin de faiblir, mon amour pour le sport s’est consolidé au rythme des exploits et des commentaires cultes… Finalement, je dirais que cette flamme m’a toujours animé, et que j’ai considéré le métier de journaliste sportif comme la suite logique de ma passion juvénile.
Votre voix s’est longtemps associée au ski, avant de devenir celle du cyclisme. Qu’en est-il de votre cœur ?
Question difficile, mais force est de reconnaître que le ski est ma discipline de cœur. Le ski a dessiné ma carrière professionnelle, et fut ma vraie porte d’entrée dans le journalisme, lorsque Eurosport cherchait un remplaçant à Christophe Josse. En y repensant, j’ai toujours un sourire, car à l’époque, je me destinais à la presse écrite. Bien que certaines grandes voix aient bercé mon enfance, la télévision ne m’a jamais fait rêver, j’y voyais un côté inaccessible et magique. Qu’importe le paradoxe, sur les conseils d’un camarade de promotion de l’IPJ, j’ai candidaté spontanément pour obtenir le poste.
Comment avez-vous géré ce passage de l’ombre à la lumière ?
La transition fut plutôt stressante, du moins au début. Je n’étais pas formé pour cet exercice, d’autant que je me retrouvais propulsé du jour au lendemain, de journaliste de presse écrite au journal L’Union, à commentateur pour Eurosport. Il m’a fallu m’adapter à ma nouvelle exposition médiatique tout en apprenant les ficelles d’une autre fonction. Deux challenge en un! Inutile de le nier, mes débuts furent compliqués, mais la direction d’Eurosport a su me mettre en confiance, et quelques semaines plus tard, je trouvais mes aises et mon style pour me glisser dans ce costume qui n’était à priori pas taillé pour moi!
Après 22 ans chez Eurosport, vous avez décidé de plier bagage pour France TV en 2017… Qu’est-ce qui vous a stimulé dans ce challenge ?
Eurosport était un peu ma deuxième maison. En 22 ans, j’ai eu la chance de commenter énormément de compétitions, des Coupes du monde de foot, de ski, des épreuves cyclistes et j’en passe… En d’autres termes, j’étais encore très épanoui et n’avait pas de raison objective de quitter cette chaîne, lorsque Laurent-Éric Le Lay m’a sollicité pour rejoindre le service des sports de France Télévisions et commenter le Tour de France. Au-delà des arguments qu’il a pu m’exposer, j’ai décidé d’accepter sa proposition en raison de mon âge. J’avais, déjà, 46 ans, et il me semblait qu’une telle occasion ne se représenterait pas, qu’il était temps d’essayer autre chose, et de prendre des risques. En revanche, si cette offre était venue sur la table dix ans plus tôt, je l’aurais refusé.
Que penserait le Alexandre Pasteur d’Eurosport, de celui de France Télévisions ?
Qu’il est resté fidèle à lui-même. Je n’ai pas changé ma façon de faire vivre le cyclisme. Le Tour de France reste la même épreuve, qu’il soit commenté sur Eurosport ou France Télévision. J’ai gardé la même approche, à la différence que je suis peut-être un peu moins familier sur France Télévisions. Je ne me censure pas, mais l’audience étant plus massive, j’ai la blague un peu moins facile, et tâche de rester autant que faire se peut dans les clous.
Vous commentez votre 5e Tour pour la chaîne publique, comment avez-vous pris l’habitude de préparer ce type d’évènement majuscule ? Quelle est la recette ?
Une bonne préparation exige de prendre en compte tous les paramètres de l’univers cyclisme. En ce qui me concerne, je m’appuie déjà sur le solide background que j’ai pu me constituer, c’est-à-dire tous les Tours que j’ai vu et les images associées. Vous savez, je pense tous les jours à la Grande Boucle. C’est une obsession, ça l’était déjà avant, ça l’est encore plus aujourd’hui. C’est un travail de fond, très chronophage. En parallèle, pour m’imprégner au mieux de la dynamique des coureurs, je suis de près l’actualité du vélo, et regarde toutes les courses de la saison. Je collecte également beaucoup d’informations sur les réseaux sociaux et les médias spécialisés. Et puis naturellement, la semaine qui précède le Grand Départ, je révise l’ensemble de l’épreuve, en analysant de près le profil de chaque étape. Enfin, je peaufine toujours les derniers détails avec l’organisateur. À l’aube de cette 108e édition, j’ai pris le temps d’échanger pendant deux heures avec Christian Prudhomme, lequel a pu me glisser des informations supplémentaires sur le parcours, ainsi que quelques anecdotes à distiller.
Sentez-vous plus de pression depuis que vous commentez devant des millions de téléspectateurs ?
Oui et non. Sur France Télévisions, la pression des audiences est inévitable, ce qui n’était pas le cas sur Eurosport. Lorsque nous réalisions 130 000 en moyenne sur une étape, c’était fantastique, alors que je me retrouve désormais confronté à des normes de scores de 4, 5, 6, voire 7 millions de téléspectateurs… En tant que commentateur sportif, l’une de mes missions est de fédérer, et je fais au mieux pour y parvenir, reste qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. Un style de commentaire ne fera jamais l’unanimité, le plus important est de rester professionnel.
Prêtez-vous attention aux remarques sur les réseaux sociaux ?
Oui, sauf que j’ai appris à prendre du recul depuis mon premier Tour de France sur France Télévisions. Certains internautes très attachés à Thierry Adam se sont lâchés, parfois injustement à mon sujet. Ils se sont sentis dépossédés d’une des voix historiques de la Grande Boucle, et n’ont pas hésité à s’acharner sur moi. J’ai donc dû me créer une carapace pour passer outre les premières vagues de critiques, et puis cela fait partie du job. Aujourd’hui encore, je reste curieux, et prends la température sur Twitter notamment. Je ne refuse pas la critique, dès lors qu’elle est constructive et bienveillante. Quant aux insultes, et autres remarques trash, cela me fait plutôt rigoler.
Après deux décennies de commentaires, ressentez-vous une forme de lassitude ?
Loin de là! Je suis toujours très content d’exercer mon métier, c’est d’ailleurs pourquoi je suis encore plus méticuleux qu’avant. Commenter le Tour de France pour le service public est une responsabilité énorme. J’ai conscience d’être épié, parfois envié, c’est ce qui me stimule et m’invite à être exemplaire.
Quel est votre meilleur souvenir en tant que commentateur sportif ?
J’ai vécu de grands moments dans le ski. La discipline n’est pas confidentielle, mais repose encore sur des valeurs familiales. C’est un petit milieu. Mes années de commentaires m’ont permis de nouer des liens étroits avec les athlètes. J’ai même réussi à me faire de vrais amis comme Jean-Pierre Vidal, ou Jean-Baptiste Grange. Je sentais que je faisais modestement partie de la famille ski. Je garde aussi en mémoire les deux coups de tonnerre d’Usain Bolt aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Avoir été témoin de mon vivant d’une telle prouesse est juste incroyable.
Après les souvenirs, finissons par les conseils. Quelles astuces pouvez-vous donner à tous les jeunes journalistes qui veulent se lancer dans le sport ?
Il faut beaucoup d’humilité, ne pas se prendre pour un autre, et surtout cultiver ses différences. Nous avons tous des sensibilités et facultés propres. Un timbre de voix, une plume, une expressivité naturelle, des mimiques… Autant de distinctions qu’il ne faut pas gommer pour se différencier. À vouloir rentrer dans un moule, on se tire une balle dans le pied. Le but est d’apporter sa propre touche. D’autre part, s’ils veulent atteindre leur rêve, les jeunes doivent impérativement respecter la langue française. En tant que journaliste présentateur, nous sommes sous le feu des projecteurs et avons un devoir d’exemplarité en matière d’expression orale. Il faut avoir s’exprimer avec un vocabulaire riche et varié pour véritablement tirer son épingle du jeu.