Que penses-tu de la communication des pilotes d’aujourd’hui ? sur les réseaux sociaux ou avec les sponsors d’équipes ?
Je pense que certains directeurs de communication doivent s’arracher les cheveux ! Fondamentalement, Hamilton, Button et les autres pilotes actifs sur les réseaux sociaux font un excellent travail pour se rapprocher des fans. Malgré tout, ils le font avec 5 ans de retard. Aujourd’hui, toutes les célébrités, dans tous les domaines, sont présentes sur Twitter. Il faut passer à l’étape suivante, miser sur la réalité virtuelle, par exemple.
Pour quel usage en F1 ?
Cette technologie devient de plus en plus mobile et facile d’utilisation. Une caméra 360° dans un garage pendant le week-end, par exemple, visualisée par des lunettes VR, peut devenir spectaculaire. De même, que de voir une photo de Button sur un vélo est sympa, de pouvoir assister à 10 minutes de son entraînement en full 360° prendrait une autre dimension.
Pourquoi ne pas équiper aussi quelques commissaires ou spectateurs ? Pour rendre le public plus acteur que spectateur !
Oui. Pour le plonger dans le sport. Ce n’est pas difficile à faire, surtout en dehors des circuits. Dans le cadre des Grands Prix, l’idée devrait être « vendue » à la FOM…
N’est-on pas en train d’y venir ? Car les pilotes dévoilent de plus en plus leur vie hors Grand Prix…
Exactement. Je travaille aujourd’hui avec des spécialistes de VR afin de proposer un produit unique et adapté à quelques sponsors ou à la Fédération. Mais chut…
« Il est facile de perdre une année complète de sponsoring en F1 »
L’évolution du sponsoring dans la F1 a été majeure ces dernières saisons. Avant, le stiker sur la voiture était une norme car il offrait de la visibilité. Puis a suivi l’ère de la plate-forme relation publique et tu y as ajouté un principe de service après vente pour vulgariser le propos. C’est finalement tout un travail de créatif, mais au service du sponsor et de sa communication ?
La F1 est un milieu tellement spécifique qu’il est facile de perdre une année complète de sponsoring (donc de visibilité) en mettant sur pied des activations irréalisables pour des raisons légales ou logistiques. Certains sponsors, parfois, travaillent sur des projets de communication très ambitieux avec leur propre agence créative. Et lorsqu’ils le soumettent à leur équipe partenaire, ils réalisent que le projet va à l’encontre des droits FOM, par exemple. Du coup, ils ont perdu des semaines et beaucoup d’argent.
Chez Lotus, mon but était d’accompagner la proposition « sponsorship » d’un manuel d’activation. Du coup, le sponsor potentiel avait entre les mains le budget, la visibilité sur la voiture, et aussi des idées précises d’activation. Histoire de maximiser le partenariat dès le premier jour.
C’était une façon aussi de séduire des sponsors qui ne pensaient pas nécessairement à la Formule 1 pour leur communication…
Voilà, c’était l’intention. Dommage que les finances de l’équipe aient sombré. Sur la fin, les sponsors potentiels étaient un peu effrayés par ce qu’ils lisaient dans la presse.
Justement, comment avez-vous géré la situation en interne ? Quelle communication appliquiez-vous, car le message devait être brouillé ?
Lorsque les salaires commencent à être payés en retard, les vannes sont ouvertes. Certains employés de l’équipe se sont plaints sur Facebook, d’autre ont parlé dans le paddock… Lorsque l’avarie prend une telle taille, il est impossible de nier. On ne peut que minimiser les dégâts en rectifiant des chiffres, en organisant des conversations entre journalistes et patrons de l’équipe.
Tu disais qu’avant de quitter Lotus il y avait des projets de concerts dans le paddock diffusés en directsur le feed officiel de la F1.. Puis tu as évoqué la réalité virtuelle. La technologie est-elle indispensable à l’avenir, pour la communication de la discipline ?
Le principe de départ est que nous héritons de la F1 telle qu’elle est (c’est à dire largement améliorable sur le plan sportif et technique) et que nous devons mettre ce produit en valeur. Je ne crois pas qu’il faille miser sur le 100% technologique, mais je pense, en fonction de la cible démographique visée, que cela compte pour un des éléments essentiels. Je pense que la communication actuelle de la F1 aurait été parfaite il y a quelques années. Mais les trop nombreuses restrictions contractuelles imposées par le détenteur des droits commerciaux limitent la marge d’action. Malgré tout, il y a des choses à faire pour dépoussiérer un peu le sport.
Nos opérations marketing un peu spectaculaires ne nous ont jamais coûté un centime »
Le B2B a-t-il un avenir dans l’acquisition de sponsors ?
Oui, je pense que cela reste un pivot de la relation commerciale entre équipes et sponsors. Chez Lotus F1, nos opérations marketing un peu spectaculaires (Daft Punk, Batman, Angry Birds, Star Wars…) ne nous ont jamais coûté un centime. C’était du pur B2B, où chacun trouvait son compte.
S’il s’en est longtemps inspiré, le football semble avoir rattrapé son retard avec une offre marketing plus riche, désormais que celle de la F1. Cette avance selon toi est définitive ?
Je pense que la situation n’est pas définitive. Pour franchir une étape, cependant, il faudrait que la F1 s’affranchisse de ses restriction (la télévision payante, les contrats médias et son approche des réseaux sociaux). Il faudrait aussi que les dirigeants revoient leur manière de penser B2C uniquement. Dire que la cible jeune n’est pas importante parce qu’on ne peut pas s’offrir de Rolex est un mode de pensée un peu éculé.
Les sponsors ne son-il pas aujourd’hui plus attirés par le ballon rond ?
Je pense qu’à budget égal, le package proposé par le football est plus attractif. Sur Facebook, lorsque certaines équipes de F1 plafonnent à 500.000 fans, les clubs de football en comptent plusieurs millions. Ce n’est pas par hasard.
A l’image de l’accord de Manchester United, le football avec la 21 Century Fox mise beaucoup sur la promotion croisée pour augmenter sa visibilité déjà considérable…
Exactement ce que nous avions commencé à faire… à notre niveau. Nous avions même engagé des conversations avec un club de la premier League afin d’imaginer des activations croisées.
Le monde la F1 et la Premier League ont une histoire commune complexe. Il y a les propriétaires de team qui le sont aussi d’un club et les accords de communication comme celui de Chelsea et de Sauber F1 Team. La F1 et la Premier League n’auraient-elles pas à s’offrir en misant sur la relation Club – Team ?
Si. Mais pour que le schéma fonctionne, il y a une seule condition : que les deux partenaires soient performants dans leurs domaines respectifs
« La politique d’Apple pour l’Euro de football pourrait être citée en exemple »
Quel est l’avenir du marketing sportif pour toi ? Quelle piste ? Un mélange accentué des genres entre la culture et le sport, la technologie de l’information et le sport ?…
Il va devoir mettre l’accent sur la créativité et l’ingéniosité. Sur la proximité, aussi. Les marques vont, je pense, revenir à des valeurs simples. La politique d’Apple pour l’Euro de football, par exemple, pourrait être citée en exemple: sa campagne TV est basée sur des photos prises par ses clients. Ici, la marque, pour un coût de production modique, démontre la qualité de son produit et son attachement à ses clients.
Le marketing sportif tel qu’on l’a connu n’est-il pas mort ? Aujourd’hui les marques deviennent des médias Les frontières ne sont plus les mêmes et il est de plus en plus compliqué pour des écuries ou des clubs de football de s’inscrire dans ce changement…
Je pense que tu as raison. Certains sports sont restés campés sur leurs méthodes de marketing et ont subi un peu de retard au démarrage. Ce domaine, aujourd’hui, doit s’adapter à la révolution digitale notamment.
Propos recueillis par Marc Limacher