
Emmanuel Hubert gamberge. Pour son métier de manager sportif, alors que vient de débuter le Tour de France 2025 qu’il dispute à la tête de l’équipe Arkea B&B Hôtels. Et comme chef d’une entreprise menacée, qui doit trouver de nouveaux partenaires commerciaux, pour continuer l’activité au-delà de la saison en cours. Les deux sponsors titres de l’équipe, le groupe bancaire Arkea et la chaîne B&B Hôtels ont conjointement décidé de cesser d’investir dans la discipline.
Sans sponsor titre, pas d’équipe du World Tour. Et plus de Tour de France. A l’heure d’entamer cette 112e édition de la Grande boucle, Emmanuel Hubert ne peut se résoudre à l’idée. L’ancien coureur professionnel multiplie donc les rencontres et cherche toutes les solutions. En toute transparence sur ses envies et ses besoins, il se livre en espérant que son message trouve un écho positif. Nous l’avons rencontré à la veille du départ de la course.
Vous avez appris quand le non renouvellement de vos deux sponsors ?
Emmanuel Hubert : Ce n’est pas forcément une question de timing. J’ai toujours prospecté. Ça fait près de huit mois que je prospecte et que je me suis rapproché d’un cabinet de conseils qui s’appelle Alvarez et Marsal. Puisque nous sommes dans un domaine où les partenaires signent entre 2 et 5 ans pour les plus longs – et plus souvent sur deux que cinq -, nous sommes obligatoirement, soit en éternelle séduction avec les actuels, soit en éternelle prospection avec les autres. La prospection a été faite et bien faite, c’est peut-être pour cela que c’est compliqué de séduire. Le boulot a certainement été bien fait par d’autres, mais aussi par moi.
Ce cabinet vous a-t-il trouvé des solutions ?
Emmanuel Hubert : Pour l’instant non. Nous avons quelques fers au feu, il y a des choses qui s’écrivent et sont assez positives et d’autres qui s’éteignent. Aujourd’hui ce n’est pas forcément une grande année conjoncturelle, où tout le monde est vent debout sur le sport et son investissement. Mais j’ai une vraie croyance, il faut rester d’une part positif et d’une autre, nous avons quand même l’un des plus beaux sports en France. Certes, je n’ai pas encore « closé », mais des choses me font penser que cela peut s’ouvrir. J’ai une vraie difficulté, c’est le timing, aussi bien pour garder ses coureurs, son personnel, les dossiers en dépôts à l’UCI… C’est très proche post Tour de France. Il faut que les prospects actuels, et sur lesquels nous avons de bons espoirs, se finalisent.
Comment vendez-vous le projet aux partenaires potentiels ?
Emmanuel Hubert : Nous avons notre propre ADN d’équipe. En 19 ans du métier que je fais, j’ai levé 210 millions d’euros. Cela veut dire que nous avons des sponsors qui ont été fidèles. Il y a aussi les stratégies d’entreprisesn avec des histoires qui s’écrivent et qui changent. Je n’ai pas de griefs sur les sponsors actuels. Ils nous ont donné à manger pendant des années. Les histoires débutent et se finissent. Et là il y a une fin. A de nouveaux de nous rejoindre.
Concernant le modèle économique du monde du cyclisme, il devient de plus en plus difficile pour les marques de rentabiliser leur présence, est-ce une raison qui explique que les partenaires ne continuent pas ?
Emmanuel Hubert : Il y a dix ans, quand tu mettais dix millions, tu avais potentiellement un retour sur investissement de 20 millions. Aujourd’hui quand tu mets 25, tu n’en tires plus que 20. Et encore c’est un poil optimiste. Je ne m’offusque pas de cela, car cela fait progresser notre sport et gagner plus d’argent aux athlètes, comme au personnel des équipes cyclistes. Mais quelque part c’est la course à l’échalote. Les sponsors ne sont pas des philanthropes, ils veulent qu’au moins l’équation soit équilibrée. Il est vrai que j’ai parfois eu cette rétorque. Mais il n’y a pas que cela, il y a aussi l’adhésion que l’on peut avoir face au cyclisme : un sport dur, avec énormément de résilience. Ça donne une super image pour des collaborateurs d’une boîte. Ce n’est pas quantifiable financièrement, mais cela apporte énormément de valeurs dans l’entreprise.
Les coureurs sont dans quel état d’esprit actuellement, car il est aussi question de leur emploi ?
Emmanuel Hubert : Le coureur ne se pose pas forcément cette question. Il doit se dire : « Je fais mon métier, je pédale ». Et s’il le fait bien, que nous continuons ou que cela s’arrête, lui il sera éventuellement demandé dans une autre équipe. C’est peut-être plus dur pour le personnel, il y a des métiers plus confidentiels.
Vous êtes combien au sein de l’équipe Arkea B&B Hôtel ?
Emmanuel Hubert : 150 personnes avec les trois équipes, féminines, next et World Tour.
Pour un budget de combien ?
Emmanuel Hubert : Un petit vingt millions d’euros. Plus proche des dix-neuf que des vingt.
Combien vous faudrait-il pour repartir ?
Emmanuel Hubert : C’est dans ces eaux-là. Pour être bien, c’est vingt-cinq millions.
« Il faut qu’à la fin du Tour de France les grandes lignes soient définies »
Vous dites parler avec des prospects, ce sont des marques françaises ?
Emmanuel Hubert : Il y a un peu de tout, à 60% des marques internationales et 40% Françaises.
Les pourparlers actuels se jouent-ils sur le Tour de France ?
Emmanuel Hubert : On a rarement vu un gros sponsor, par rapport à notre calendrier se pointer le 15 novembre. C’est très compliqué… Pour bien faire, il faut qu’à la fin du Tour de France il n’y ait plus qu’à discuter, non pas de finances ou de durée de contrat, mais qu’est-ce que l’on pose sur le maillot. Il faut vraiment que les grandes lignes soient bien définies.
Il y a quand même beaucoup d’enjeux sur ce Tour…
Emmanuel Hubert : Il ne faut pas que ça s’arrête là non plus. Il ne faut pas juger, ou que cela soit une pression énormissime si nous ne gagnons pas d’étape sur le Tour de France. Je rappelle que sur les onze derniers Tour de France, nous n’avons gagné qu’une seule étape. C’était l’an passé. Il y a beaucoup de prétendants et peu d’élus.
Sur quoi portent les discussions ? Plutôt un namer seul, ou deux partenaires titres ?
Emmanuel Hubert : Il y a un peu des deux. Le problème c’est qu’en partageant, il faut en trouver deux, voire trois. C’est déjà compliqué d’en trouver un… Disons que c’est plus 70% de namers seuls et 30% à deux.
Comment vivez-vous la situation, entre l’équipe à gérer et le poids de cette échéance ?
Emmanuel Hubert : Mon ADN est quand même le sport. J’ai les yeux qui brillent à chaque départ du Tour de France. Ça, je le vis bien. Mais bien évidemment que j’ai cet esprit de « closer » quelque chose. L’énergie c’est maintenant qu’il faut la donner, ça fait huit mois que j’en donne beaucoup, mais ça ne sera pas au mois de janvier prochain, si l’équipe n’existe plus. La résilience de ce sport, pour l’avoir pratiqué pendant une quinzaine d’années de ma vie, cela me donne beaucoup de volonté de me battre chaque jour. Quand je me lève le matin, certes psychologiquement ce n’est pas toujours évident, mais physiquement c’est plus facile qu’une étape du Tour de France.
Si vous deviez vous donner un pourcentage de repartir la saison prochaine ?
Emmanuel Hubert : Quelque part je serai tenté de dire 100%. La seule chose est que tout ne dépend pas de moi. Je suis face à certaines résistances ; budget trop élevé, timing décisionnaire… Mais j’ai une vraie croyance que cette équipe, ça fait quinze ans qu’elle existe en tant que tel, je me dis qu’elle ne peut pas mourir.
» Il faut faire attention qu’il n’y ait pas que de l’élite »
Sur ces quinze ans justement, avez-vous déjà connu pareille situation ?
(Il réfléchit) A peu près. La seule chose qui diffère est qu’aujourd’hui, nous avons beaucoup augmenté de budgets et de personnes. C’est plus cette situation d’entreprise au plus large, de 150 personnes et vingt millions d’euros de budget ; vingt millions c’est plus difficile à trouver que deux il y a quinze ans.
N’a-t-on pas l’impression d’un cyclisme de plus en plus à deux vitesses ?
Emmanuel Hubert : Il y a une disparité claire. Il faut peut-être faire attention aussi qu’il n’y ait pas que de l’élite, car le fossé se creuse entre deux.
Nous évoquons les histoires à créer, comment était celle qui s’achève avec Arkea et B&B Hôtels ?
Emmanuel Hubert : Que ce soit eux ou moi, nous nous remercions mutuellement. Nous leur avons beaucoup apporté et eux aussi, en moyens financiers, régularité, sérénité. Ça vaut tout l’or du monde. Nous ne signons pas un CDI mais des contrats avec stratégies de marques que nous devons respecter. Nous avons vraiment une appréciation mutuelle des personnes, comme de l’entreprise.
Propos recueillis depuis Lille par Thomas Filhol