L’affaire Alpine F1 Team/Oscar Piastri/McLaren Racing n’est pas nouvelle, c’est un épisode de plus de la vie de la Formule 1, depuis plus de 30 ans. L’occasion pour notre partenaire, le Business Book GP de remonter le temps et de faire l’historique des histoires les plus folles, contractuellement parlant.
L’une des plus intéressantes dans les années 80, est celle d’Ayrton Senna, qui avait un contrat avec Toleman, mais qui s’est engagé avec Team Lotus, pour la saison 1985. Un dédommagement de 150 000 dollars a alors été acté entre les deux parties. Sans autre histoire qu’un règlement entre personnes de bonne compagnie, avec l’arbitrage de Bernie Ecclestone au centre du jeu.
En 1991, suite à l’affaire Schumacher/Jordan/Benetton, une commission a été mise en place à Genève, le CRB, afin de contrôler les contrats des pilotes avec les équipes et valider, ou non, ces derniers. Ainsi, nous nous concentrerons ici que sur les affaires ayant deux contrats dans deux équipes différentes, pour une seule et même saison.
Jean Alesi, 1990
Avant la création du CRB, une affaire incroyable a été racontée. Ayant fait une entrée tonitruante en Formule 1, au volant d’une modeste Tyrrell Ford, lors du Grand Prix de France 1989, Jean Alesi a débuté sur le même rythme en 1990 avec l’équipe anglaise. Son talent attira l’œil de Frank Williams qui aimait le style du français, qui discutait avec lui, d’un éventuel contrat pour 1991. Cependant, Williams essayait de recruter Ayrton Senna au même moment et Nigel Mansell, à la fin de l’été, avait annoncé sa retraite sportive. De courte durée.
En coulisse un bras de fer s’est imposé. Alesi était également convoité par la Scuderia Ferrari pour 1991 et avec l’aide de Flavio Briatore et Nelson Piquet, le pilote rédigera un accord avec l’équipe de Maranello qui acceptera de lui verser un salaire de 4,5 millions de dollars. Comme un coup de poker, Alesi ira dans le motorhome Williams présenter son contrat avec l’équipe italienne pour que Williams réagisse. Sir Frank Williams ne le fera pas, il venait d’engager Mansell pour 1991.
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : Nigel Mansell deviendra champion du monde 1992 et Williams débutera sa domination jusqu’en 1997, seulement contesté par Benetton et Schumacher. Pendant ce temps, Jean Alesi restera chez Ferrari jusqu’en 1995, puis il ira chez Benetton pour 1996 et 1997, pour succéder à Michael Schumacher. En vain.
Michel Schumacher, 1991
C’est l’affaire qui a créé le CRB. Lorsque Bertrand Gachot s’est bizarrement retrouvé emprisonné au cœur de l’été 1991, l’équipe Jordan cherchait un remplaçant et a choisi Michael Schumacher et ses 150 000 dollars promis par Mercedes-Benz, pour l’unique course du Grand Prix de Belgique. Ce détail relevait de l’importance, car après la brève performance du pilote allemand, Flavio Briatore et Tom Walkinshaw, au nom de Benetton iront voir l’agent de Schumacher, Willy Weber, et ce dernier indiquera que l’accord avec Jordan ne tenait que sur une course, et que son poulain serait libre immédiatement.
Toutefois, dans le droit anglais, un accord oral à la même légalité, qu’un accord écrit ailleurs. Eddie Jordan, convaincu d’avoir abordé le sujet d’une prolongation d’accord pour la fin 1991 et même pour 1992, avec Willy Weber, verra rouge lorsque Bernie Ecclestone le convoquera dans une villa de Monza, la veille du Grand Prix d’Italie. La menace de porter l’affaire devant la Haute Cours de Londres était réelle. Schumacher venait de signer un contrat solide avec Benetton Formula pour la fin 1991, 1992 et 1993.
Toutefois l’affaire en est restée là. Principalement par les renseignement de Flavio Briatore, via son sponsor tabac, Camel, qui lui avait rapporté une forme de chantage qu’avait proposé Eddie Jordan, quelques mois auparavant. En compensation, Briatore financera les deux Grand Prix de son deuxième pilote, Roberto Moreno pour 500 000 dollars, pour solder les comptes. Quelques semaines après cette histoire, le CRB est créé à Genève. Afin de proposer une structure de contrôle et éviter de porter au tribunal les différends.
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : Michael Schumacher débutera sa brillante carrière avec Benetton qui sera conclue par un double titre de champion du monde 1994 et 1995. Côté Eddie Jordan, la fin de saison 1991 annoncera un déficit de 8 millions de dollars et avec l’aide de Bernie Ecclestone, l’irlandais sauvait son équipe avec un moteur V12 Yamaha et une histoire qui mettra du temps à briller. Pire, en 2002, le truculent irlandais reproduira la même histoire avec la société Vodafone, pour un prétendu accord oral de sponsoring. Une affaire qu’il perdra devant le tribunal et qui provoqua la chute de son équipe.
David Coulthard, 1994/1995
Pilote d’essais Williams en 1994, David Coulthard s’est retrouvé sur le devant de la scène, suite à la disparition d’Ayrton Senna. En coulisse, Ron Dennis souhaitait s’adjoindre le concours du jeune pilote écossais pour McLaren en 1995. Un contrat est signé entre les deux parties.
Frank Williams portera l’affaire devant le CRB. En effet, si Coulthard n’avait pas de contrat Williams pour 1995, celui-ci pouvait se matérialiser, si l’équipe le souhaitait, comme indiqué dans son contrat de pilote d’essais. Le CRB statua que David Coulthard devait passer une saison chez Williams, puis aller chez McLaren, en 1996.
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : Cette histoire représente 90% des cas passant devant la Commission de contrôle des contrats. Surtout, elle a résolu une autre histoire, celle de la promesse faite par Patrick Head au nom de Williams de prolonger Nigel Mansell, en 1995. Toutefois, le champion du monde 1992, ne souhaitant pas que l’affaire se passe devant le CRB a obtenu un dédommagement de 17 millions de dollars de Williams et un contrat McLaren-Mercedes de 10 millions. Qu’il devra rembourser pour moitié, après son abandon de poste.
Giancarlo Fisichella, 1998
C’est un épisode discret, mais important. Pilote Jordan Grand Prix, en 1997, le pilote italien ira toutefois chez Benetton en 1998. Avec une compensation financière discrètement engagée, par l’équipe anglo-italienne, envers l’équipe irlandaise. A l’époque Fisichella disposait d’un contrat d’une saison, mais l’accord pouvait être renouvelé, si l’équipe disposait d’un moteur usine pour la saison 1998 ; Jordan perdant Peugeot au profit d’un Mugen Honda.
Dans les faits, Benetton, alors dirigé par Flavio Briatore, était également l’agent de Giancarlo Fisichella. Un fait nouveau pour le CRB qui validera le contrat Benetton pour 1998 et 1999 ,et une indemnité de 2,4 million de dollars envers Jordan.
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : C’est la première fois que le CRB avait un contrat avec un juge et un partie, des deux côtés de l’histoire. Flavio Briatore était l’agent de Fisichella et le Team Manager de Benetton au moment de la conclusion de l’histoire.
Jenson Button, 2004-2005
La plus fameuse. Jenson Button a fait ses débuts en Formule 1 avec l’équipe Williams-BMW, en 2000. Le jeune pilote avait signé un contrat de 5 ans (jusqu’en 2004), avec l’usine de Grove, en échange de gagner 2 millions de dollars par saison. En 2004, Button était pilote BAR-Honda et sa saison était plus que prometteuse. Pourtant Button va signer un contrat de 4 ans, avec Williams-BMW.
L’affaire éclata durant l’été 2004, irrité par la situation, BAR-Honda a insisté pour conserver l’option 2005, sur son pilote et le CRB a accepté les arguments, obligeant Button à rester dans l’équipe de Brackley, une saison de plus.
En réalité, l’affaire était une question de timing (comme pour Piastri), BAR était en retard sur les paiement pour les primes du pilote et son contrat indiquait que BAR devait avoir le soutien d’un constructeur, pour 2005 et au-delà. Seulement, l’accord avec Honda (qui avait pris 45% du capital de l’équipe et fournissant des moteurs jusqu’en 2007) tardera et c’est cette fenêtre qui avait été exploitée par Richard Goddard, l’agent de Button.
Jenson Button a signé un contrat de 4 ans avec Williams-BMW pour 9 millions de dollars, comme salaire 2005. En vain. Mais l’affaire n’en restera pas là.
Jenson Button a signé un précontrat avec Williams pour 2006. Honda, qui venait de prendre le contrôle de l’équipe BAR souhaitait en finir avec ses histoires et garder le pilote anglais. Un contrat 2006, 2007, 2008 et 2009 de 20 millions de dollars la saison pour le pilote et un dédommagement de 30 millions de dollars pour Williams a été acté, la veille du GP du Japon.
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : Williams sombrera dans le fond du classement à partir de 2006, n’ayant plus le soutien officiel d’un constructeur et devenant simplement client moteur. Jenson Button remportera sa première victoire en 2006 et subira la fin de Honda en 2007 et 2008, avant de devenir champion du monde en 2009, avec la Brawn. Héritage de l’équipe Honda auquel il était encore sous contrat cette saison-là.
Sauber, 2015
C’est une affaire moins connue et largement oubliée, mais unique. L’équipe Sauber disposait de quatre pilotes sous contrat, pour deux sièges au début de saison 2015. Fin 2014, l’équipe suisse recrute le Suédois, Marcus Ericsson et le Brésilien Felipe Nasr. Normalement.
Mais, le pilote hollandais de réserve, Giedo van der Garde, affirme avoir un contrat de titulaire pour 2015. Le différent s’est poursuivi, pendant tout le Grand Prix d’Australie 2015. La cour suprême de Victoria a statué que Van der Garde devait effectivement courir pour Sauber, obligeant l’équipe à ne pas participer à l’EL1 du vendredi, pour éviter de faire outrage au tribunal. Le lendemain, le Néerlandais a accepté de reculer et de permettre à Ericsson et Nasr de concourir, mais Sauber a été obligé de verser à van der Garde une compensation d’environ 16 millions de dollars afin de rompre les liens.
Une histoire qui en cache une autre plus discrète, qui s’est déroulée durant l’hiver 2014-2015. Celle avec Adrian Sutil. Pilote 2014 de Sauber, le jeune allemand disposait d’un accord pour 2015, s’il permettait de garantir 40 millions d’euros de budget. En raison du contexte du marché du sponsoring à l’époque, le pilote allemand a contesté le contrat et a revendiqué son volant 2015. L’affaire s’est conclue au CRB à Genève, par une compensation financière de Sauber de 4 millions d’euros (ce que devait toucher Sutil dans le cas de son contrat).
CONSEQUENCE DE L’AFFAIRE : Elle sera catastrophique pour l’équipe Sauber, réputée rigoureuse, car 25 millions de dollars ont été versés pour compensation aux contrats de Van der Garde et Sutil en 2015. Poussant l’équipe à être vendu au fond d’investissement helvétique, Longbow Finance quelques mois plus tard. Peter Sauber perdant ainsi le contrôle de son équipe qu’il avait lancé en 1993.