
La diminution progressive des subventions publiques dans le sport, constatée depuis plusieurs années, interroge sur l’avenir des associations sportives féminines professionnelles (football, cyclisme, handball, basket, etc.). Si le débat s’est souvent focalisé sur le sport féminin, la réalité est plus large : c’est l’ensemble du tissu associatif sportif qui est fragilisé par cette évolution.
Le vent tourne
Il y a une dizaine d’années, un président de club expliquait que son association, jusque-là financée à 80 % par des subventions publiques, devait désormais rééquilibrer son budget : 30 % de subventions, 30 % de sponsoring, le reste provenant des licences et de l’événementiel. À l’époque, cette réorientation n’était qu’un signal d’alerte, vite compensé par la capacité de l’État à rétablir l’équilibre économique.
Aujourd’hui, le ton est bien différent. De nombreux dirigeants constatent des baisses de 30 % de leurs aides, parfois de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Certains trésoriers doivent trouver, dans l’urgence, quelques milliers d’euros pour maintenir un emploi ou équilibrer leur budget. La solution la plus courante reste le retour à l’événementiel : lotos, tombolas, ventes de produits ou soirées caritatives. Ce réflexe, hérité d’un ancien modèle, traduit un certain conservatisme, malgré les leçons du passé récent.
Un club de rugby, par exemple, affiche aujourd’hui un budget de 250 000 euros dont 169 000 provenant d’actions lucratives. Le phénomène est généralisé : face à la baisse des subventions, les associations se replient sur l’événementiel. Mais si une nouvelle crise venait à paralyser la vie quotidienne, que deviendraient ces structures ? Beaucoup répondent encore : « L’État interviendra, comme la dernière fois. »
Cette logique entretient une dépendance structurelle. La perte d’une subvention, même modeste, crée une forte pression psychologique et oblige à repenser le modèle économique. Pourtant, la plupart des dirigeants préfèrent reproduire les mêmes mécanismes plutôt que d’engager un véritable changement.
Certains misent sur le sponsoring privé, d’autres sur le lobbying local pour tenter de préserver les aides publiques. Le modèle dominant des associations sportives reste fondé sur une architecture ancienne : ASL (Adhérents et Subvention Locale), devenue AESL (Adhérent, Événementiel et Subvention Locale), voire AEMS (Adhérent, Événementiel, Mécénat et Subvention). Dans les faits, mécénat et événementiel servent surtout de variables d’ajustement en fonction du niveau de subvention obtenu.
L’échec du modèle subventionné
La subvention publique demeure au cœur du financement des associations sportives. Ce système crée une illusion de stabilité et nourrit un récit institutionnel déconnecté de la réalité. Les associations, encouragées à compenser les manques des politiques publiques, se sont retrouvées à gérer des missions autrefois assumées par d’autres acteurs. Les budgets alloués à ces actions ont souvent été divisés par cinq, tandis que les structures sportives devenaient sous-traitantes de projets publics.
Remplir des dossiers de subventions est devenu un exercice de fiction, où l’on apprend à formuler des projets davantage pour répondre à des critères administratifs que pour servir un réel besoin de terrain. Cette « économie de la narration » a progressivement éloigné les structures de leur véritable mission.
La subvention, censée structurer, a souvent désorganisé. Elle détourne les dirigeants du projet associatif et du développement humain, piliers fondamentaux du sport. Elle pousse à la dispersion des actions, fragilisant la cohérence interne et la relation avec les parties prenantes.
À terme, cette dépendance empêche les associations de servir pleinement ni leurs partenaires privés, ni leurs membres, ni leurs salariés.
Les partenaires privés
La France se distingue par un dispositif particulièrement favorable aux dons privés : 66 % de déduction pour les particuliers, contre 25 à 26 % dans les pays voisins. Cette politique, destinée à compenser la faible place laissée à l’initiative privée dans la production de biens publics, a représenté 3,5 milliards d’euros de dépenses pour l’État en 2022.
Dans la pratique, beaucoup d’associations sportives ne vendent pas réellement un projet ou une vision, mais plutôt une opportunité de déduction fiscale. Les entreprises se retrouvent donc dans un rôle de simple complément financier. Depuis la loi Pacte de 2017, les entreprises sont encouragées à mesurer leur impact sociétal. Cela a, paradoxalement, réduit les échanges directs avec les associations sportives, qui ont souvent mal compris ou mal utilisé cet outil.
Le rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (juillet 2025) préconise de rendre moins avantageux les dispositifs fiscaux pour les entreprises, en les transformant en simples déductions d’assiette imposable. Une telle réforme permettrait d’économiser plus de 500 millions d’euros par an, mais réduirait considérablement l’intérêt des entreprises pour le mécénat sportif. À moyen terme, cela entraînerait un recul du mécénat au profit du sponsoring, modifiant profondément les équilibres économiques des clubs.
Les énergies humaines
Les forces vives des associations sportives – bénévoles et salariés – constituent leur principale richesse. Or ces énergies sont à leur tour fragilisées. Les nouvelles générations de bénévoles recherchent désormais une forme de contrepartie : gratuité, formation ou indemnisation. Cette évolution bouleverse les équilibres économiques. Ce qui relevait autrefois du bénévolat (case 86 des comptes associatifs) glisse progressivement vers des postes rémunérés (case 62). Lorsque les subventions destinées à la formation des bénévoles diminuent, les associations peinent à retenir leurs membres, et une véritable « circulation des bénévoles » s’installe entre structures.
Pour les salariés, la situation est encore plus délicate. L’emploi associatif sportif a connu un âge d’or après 2021, porté par les aides à l’apprentissage et à l’emploi. Mais ces dispositifs ont été fortement réduits : l’aide à l’apprentissage est passée de 24 000 à 6 000 euros, et l’aide ANS Emploi de 36 000 à 30 000 euros.
Les associations privilégient désormais les jeunes salariés peu coûteux, au détriment des profils expérimentés. Certaines créent même des postes artificiels pour ne pas perdre une subvention, au prix d’une précarisation accrue. Ces emplois, souvent perçus comme temporaires, perdent leur dimension vocationnelle. Le turn-over augmente, l’attachement au club diminue. L’association et l’organisme financeur conservent leurs avantages, mais au prix d’un désengagement humain croissant.
Le déclin permanent
Tout est désormais subventionné : les partenaires privés, la formation des bénévoles, les emplois. Lorsque ces aides diminuent, tout le système se grippe. Or, la réussite sportive repose sur la stabilité, pas sur la dépendance. La répétition des mêmes schémas malgré les crises traduit un déclin latent. Les associations changent chaque année de thématique pour donner l’illusion du renouveau : enfants, féminisation, sport santé… sans jamais résoudre le problème de fond.
L’emploi reste précaire, rarement soutenu par des partenariats économiques durables. Quelques initiatives locales prouvent qu’un modèle alternatif est possible, mais elles demeurent marginales.
Les subventions publiques, quant à elles, ne disparaîtront pas. Elles continueront à alimenter un marché de « missions » à court terme, qui freine la création de valeur durable et érode la motivation des acteurs.
Certains dirigeants affirment ne pas être concernés. Pourtant, toute dépendance excessive finit par devenir une relation toxique, dont il est long et difficile de s’extraire.