Dans une forme des plus classiques du sport professionnel à gros budgets, chaque pratique est compartimentée : l’athlète se concentre à la performance, accompagné pour son confort d’agents et de financiers. Il est plus rare, comme cela existe dans la voile, qu’il est à cumuler avec, la casquette de l’entrepreneur à la tête de son projet professionnel. Sébastien Rogues est l’un d’eux, qui mène sa barque – ou devrait-on plutôt dire son bateau d’une quinzaine de mètres de long en classe Ocean Fifty – entre terre et mer, tantôt en tant que patron de PME, sinon à la barre de son voilier.
Sa passion, celui qui compte entre autres lignes à son palmarès d’être le plus jeune vainqueur de la transat Jacques Vabre en 2013 à 27 ans, la vit autant dans le quotidien de l’entreprise qu’au beau milieu des océans, à la finalisation d’un projet. Sébastien Rogues est prolixe sur le sujet, très loin du cliché parfois tenace, du marin mutique et renfrogné qui ne s’épanouit qu’une fois extrait de la civilisation. Le skipper de 37 ans est à l’inverse, dans le partage le plus complet de sa passion dont il a fait une profession à succès.
A bord de son nouveau bateau au nom de son sponsor titre Primonial, Sébastien Rogues remet son titre en jeu en Ocean Fifty sur la transat Jacques Vabre. Non plus avec Matthieu Souben qui l’accompagnait en 2021, mais désormais en duo avec Jean-Baptiste Gellée. Rencontre avec un sportif pas tout à fait comme tous les autres.
Nous sommes à quelques jours du départ de la Transat Jacques-Vabre, comment tout se prépare en amont, de la recherche des sponsors à la fabrication de votre nouveau bateau ?
Sébastien Rogues : Ça marche exactement comme une boîte. Mon métier, à 70% de mon temps, c’est chef d’entreprise. Je cherche des clients, je les fidélise, je leur livre le plus beau produit possible. Pour ça j’ai besoin de faire des investissements, d’aller voir les banques et d’avoir une gestion d’entreprise la plus performante possible. Notre produit c’est un bateau de course, mais notre fonctionnement est celui d’une entreprise somme toute classique. D’une petite entreprise, une PME, 3-4 salariés quelques indépendants autour de nous, où tout le monde fait tout. Je suis patron de ma PME, je règle en même temps les problèmes de vacances, les crédits avec les banques ou la gestion de la trésorerie.
Une entreprise classique certes, mais ne dépend-elle pas du facteur de la performance sportive ?
Sébastien Rogues : Je n’en suis pas convaincu. Nous voyons aujourd’hui des projets qui vivent et évoluent sans performance sportive. On peut citer par exemple le nouveau projet d’Eric Bellion, qui a construit un bateau neuf. Eric ne sera pas le favori du prochain Vendée Globes. On peut voir des tas de projets autour de l’inclusion qui vivent avec d’autres valeurs que celles de gagner. Notre sport est en train de se transformer. Et peut-être que nous sommes en train d’y intégrer ces valeurs de la performance nouvelle, qui n’est pas que celle de gagner. Je pense que la voile est assez précurseur là-dessus. Evidemment, je suis un compétiteur, je suis dans ce milieu car j’aime les valeurs de la gagne au premier sens du terme, néanmoins nous essayons d’y intégrer aussi un maximum de sujets supplémentaires, pour aller au-delà de la victoire et d’y inscrire d’autres choses plus grandes que soi.
Comment vous y prenez-vous pour démarcher les sponsors ?
Sébastien Rogues : C’est ce sur quoi je m’évertue de poser mon entreprise, c’est à la fois de sortir du sponsoring qui pourrait être logé dans des budgets de communication, pour aller vers des budgets de marketing et donc de se positionner, plus en tant que produit et une boîte à outil de marketing pour les entreprises, que de projets uniquement sportifs. On est des plateformes d’hospitalité, on doit servir le business de la boîte. La philanthropie sur ces sujets là c’est fini. Les entreprises n’investissent plus ce que l’on pourrait appeler du « love money ». On doit être des outils et performants pour les entreprises.
Il faut aussi être de bons communicants ?
Sébastien Rogues : Il faut savoir raconter son histoire, mais ça c’est un peu avec le coeur. Chacun le fait à sa manière. Oui c’est un aspect important. Mais quand on fait ce métier là, on le fait par passion. Et quand on parle avec passion, on le fait assez bien.
C’est un sport qui est couteux ?
Sébastien Rogues : Non la voile rapporte de l’argent. C’est pour cela qu’il faut se positionner comme des produits. Ça coûte à faire fonctionner c’est une évidence. Et beaucoup. Mais cela rapporte aussi quand c’est bien travaillé, ce sont des projets qui sont clairement rentables, que nous quantifions à la fois par la visibilité offerte à nos partenaires et par les plateformes d’hospitalités qui sont somme toutes les mêmes, que celles que peuvent proposer le PSG ou Roland-Garros. Il suffit de proposer un produit de prestation égal, et à ce moment là eux deviennent nos concurrents commerciaux. Nous leur disons : « Pourquoi vous allez chercher une loge au PSG pour 500 personnes ? Emmenez-moi vos 500 personnes sur mon bateau et nous allons créer de l’expérience. » L’expérience, et le Covid n’y est pas pour rien, est quelque chose qui est en train d’exploser au niveau des entreprises. Une expérience à la fois de son écosystème, ça permet de créer une aventure avec le nom de l’entreprise et la personne que tu veux toucher, mais aussi en interne, réussir à faire vivre autre chose aux gens qui font l’entreprise. Est-ce que la voile est onéreuse ? Oui, ça coûte des euros. Mais ça en rapporte beaucoup plus.
C’est un discours atypique dans le monde du sport professionnel. Il est rare que celui qui assure la performance sportive soit derrière son business…
Sébastien Rogues : Moi c’est ma manière de faire, j’ai été élevé au milieu de valeurs sportives et entrepreneuriales. J’ai décelé dans l’entrepreneuriat de la performance sportive. Nous sommes un sport mécanique. Une partie de notre performance, c’est notre capacité à dépenser de l’argent. Quand t’as compris ça l’entrepreneuriat ne peut pas être un non sujet si tu veux gagner. L’argent ne tombe pas du ciel, ce n’est pas un puit sans fond et si tu veux avoir quelque chose de pérenne il faut un écosystème qui fonctionne. Et moi ça me passionne.
Il y a de la concurrence en mer, est-ce qu’il y en a aussi dans cet aspect entrepreneurial ?
Sébastien Rogues : Oui bien sûr. Nous sommes en concurrence avec nos pairs dans la voile, mais nous le sommes aussi de tous les autres sports. Aujourd’hui nous sommes à la veille des Jeux de 2024, le sport va prendre encore plus d’importance dans les entreprises, chez les Français. Il est certain que le monde entrepreneurial va être encore plus sollicité. Mais quel est le seul domaine capable de remplir les Champs-Elysées ? Le sport. Il devrait donc être beaucoup plus intégré à une stratégie nationale de cohésion. Quand on gagne tu peux prendre les gens par l’épaule tu les connais pas tu leur fais des bisous… Et il ny’a pas de souci, pas de différence de couleur, de bord politique, de différence d’idées… Il y a juste du bien être. Et le sport, vraiment, est une très bonne cure pour tout le monde, surtout en ce moment. Ça mérite les bons investissements.
Du coup quand vous allez voir une marque vous lui dites quoi pour qu’elle mise sur vous ?
Sébastien Rogues : Je lui raconte ce que je viens de vous dire.