Après avoir rejoint Toulon et son club phare de rugby, sur la fin de l’année 2021, après trente ans de collaboration au sein du groupe médias, RMC, François Pesenti a pris la direction exécutive du RCT, en charge du développement stratégique, au mois d’avril 2022. Un an plus tard, le club rouge et noir vient de lancer la première soirée Hall of fame du rugby français. Une initiative parmi d’autres, qui s’inscrit dans l’ambition toulonnaise d’élargir plus loin ses horizons et ambitions, à la conquête de nouveaux publics. Quitte à draguer celles et ceux que le rugby n’intéressent pas de prime abord, en usant de tous les codes et canaux de communications modernes.
Le Rugby Club Toulonnais est devenu, la semaine dernière, le premier club de rugby à lancer son Hall of fame. Expliquez-nous le but de l’opération…
François Pesenti : Le hall of fame c’est un pilier qui allie à la fois, la tradition, l’histoire et l’innovation, tout en essayant d’élargir la fan base de plus en plus loin, de plus en plus jeune et vers des milieux de plus en plus diversifiés. J’y ajouterai une autre dimension qui est celle de l’humain. Ce qui fait la légende d’un club, ce sont les grands hommes. Les récompenser, c’est retrouver la dimension humaine. C’est ce que nous avons ressenti lors du gala, toute les générations étaient réunies et ça a été l’occasion d’un grand partage. Ce que je ressens après coup est que ce hall of fame va fonctionner, car les grands joueurs du club se le sont appropriés.
Cette première édition, en terme de succès auprès du public et de retour médiatique, vous donne-t-elle satisfaction ?
François Pesenti : Oui, très heureux. Nous voulions partager cela avec le plus grand nombre. Evidemment, une soirée de gala coûte très cher, il faut la financer, elle ne peut pas être ouverte à tout le monde. En revanche, puisque toutes les légendes du club venaient à Toulon de partout dans le monde, nous avons voulu créer quasiment une semaine d’événement, qui permettait à tous nos supporters de partager cet événement avec nos légendes. Cela a commencé avec le match Toulon – USAP, à Mayol. Toutes les légendes du club étaient là, le stade était archi comble, c’était un grand moment de partage qui s’est poursuivi le soir avec la bodega. Il y a eu beaucoup d’activité de presse, locale, nationale et internationale, car réunir tous ces joueurs de légende était une occasion unique pour les médias. Ça participe au rayonnement de Toulon, par leur intermédiaire. Le mardi 18, le jour du gala, nous avons fait toute une journée ouverte au public, où tout au long de l’après-midi, le campus était ouvert et des milliers de supporters sont venus.
Ces derniers mois, sous votre gouvernance, le RCT a mené plusieurs initiatives, entre le Hall of Fame, les NFT, la chaîne TV du club… Vous parliez d’élargir la fan base, c’est le sens derrière ces opérations ?
François Pesenti : Tout ce qu’il se passe aujourd’hui on le doit au président Bernard Lemaître. C’est lui qui a la vision. Celui qui impulse tout cela, c’est lui, car il a une vision d’entrepreneur. Il sait que le RCT pour rayonner doit d’abord être très fort sportivement, il investit là-dessus avec des talents, des joueurs, avec une stratégie à long terme basée sur la formation, la succession et tout un ensemble de choses qui font qu’il doit y avoir une continuité. Et à côté de cela, il y a toutes les choses que nous pouvons mettre en place pour que ce club existe encore plus, auprès de ses supporters et qu’ils soient de plus en plus nombreux. Nous sommes là pour accompagner le sportif, créer de l’innovation. Tout ce que nous avons fait ces derniers mois relève de cet objectif de faire rayonner la marque et le club. Toulon a un énorme potentiel. Il y a peu de clubs en France qui pourraient ouvrir un Hall of fame avec autant de grands joueurs et d’histoire. C’est l’un des clubs français les plus connus dans le monde, notamment depuis le début des années 2000 et les trois succès européens. Après, c’est un club qui, comme toutes les institutions sportives professionnelles, doit aujourd’hui renouveler son image, s’adresser à des publics nouveaux, plus jeune, plus féminin, plus éloigné. Grâce au digital, nous pouvons toucher des publics dans le monde entier. On a une « content factory » au sein du club, qui tourne des images et produit du contenu, pour les adresser bien au-delà de nos frontières. On va vers les NFT et le web 3, car c’est là que se trouve la nouvelle génération. On a rejoint le réseau social Discord, on vient d’ouvrir une chaîne Twitch, car c’est un lien direct avec la jeune génération. Tout cela participe au seul objectif de faire rayonner le club et sa marque le plus loin possible.
Est-ce que ça marche, en terme de chiffres, de retours ?…
François Pesenti : Oui. d’abord nous avons la chance d’être dans un club où tout le monde l’a compris, à tous les étages. Du président à la section sportive, en passant par le reste des équipes, tout le monde s’y adapte. L’objectif numéro un ce sont les résultats sportifs et les titres, mais le complément c’est ce que nous mettons en place à côté pour le rayonnement du club. Tout le monde adhère, c’est extrêmement positif car nous avons besoin de tout le monde pour élargir notre communauté. On déjà plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de fans qui nous consomment à travers ces nouveaux supports de communication et nouveaux événements. On créé une relation qui doit être généreuse. Quant on lance des NFT ou de nouveaux dispositifs dans des univers, notamment de jeunes publics qui ne sont pas forcément familiers du RCT, il faut être attractif. Quand ils acquièrent un NFT ou consomme des vidéos, ils ont la possibilité de pouvoir vivre des expériences autour du RCT. C’est un travail de fond qui est mené et nous permet de basculer dans le futur, parce qu’il faut bien avoir conscience qu’en terme de communication et de contenus, il faut préparer l’avenir. Les repères du passé vont s’estomper, on rentre dans une nouvelle ère, avec de nouveaux codes de communication. Ce qui peut paraître avant-gardiste, ou parfois futile aujourd’hui, ça ne l’est pas du tout, car au contraire, nous sommes en train d’entrer dans le futur. Ici, nous préférons être en avance qu’en retard. On a acquis dans le rugby cette image avant-gardiste. Tant mieux car on voit bien que cela fait avancer la marque. C’est une vraie prise de risques, qui sera payante sur le long terme.
A l’échelle de vos concurrents, à quel point vous êtes innovants ? Et quelle est la puissance de votre fan base à l’échelle du Top 14 ?
François Pesenti : On cumule autour du million de fans, sur tous les supports digitaux. On doit être autour de la deuxième position, avec l’objectif de continuer à progresser. Mais nous ne sommes pas les seuls, chaque club prend des initiatives et innove. C’est bien, cela créé une dynamique. Nos plus grands adversaires ne sont pas le Stade Toulousain, La Rochelle ou le Stade Français, ce sont les autres domaines de l’entertainment qui peuvent détourner les fans de rugby vers d’autres sujets. Là-dessus nous sommes presque partenaires avec les autres clubs. Comment le rugby pro et le sport pro en général se met en ordre de marche pour continuer à être attractif auprès de la jeune génération. Aujourd’hui, nous savons que les jeunes générations vivent devant les écrans et qu’il y a énormément de contenus diverses et variés. Nous leur disons : « Nous sommes des clubs, importants, avec notre histoire. Mais nous ne sommes pas qu’un truc qui date de votre père ou grand-père, mais quelque chose adapté à vos usages, que vous allez retrouver avec vos codes et supports de communication et l’histoire continue avec vous ».
N’est-ce pas là d’abord le sujet de la Ligue nationale de rugby (LNR), que de s’assurer que les jeunes ne se détournent pas du rugby ? Ce combat n’est-il pas collectif ?
François Pesenti : Absolument, ce doit être le combat des clubs et celui de la Ligue, et tout le monde doit être arcbouté par tous. Le rôle d’une ligue professionnelle est d’abord et avant tout la promotion du sport. Et là-dessus, nous devons être avec eux et travailler tous ensemble, pour la promotion de nos marques, notre sport, nos joueurs et de rendre tout cela attractif. Je dois quand même reconnaître que le rugby français est plutôt un domaine avant-gardiste et leader. Dans le sport national, le rugby reste un domaine d’excellence, dans lequel l’on peut dire que la France est un leader. Notre championnat professionnel est le plus puissant au monde, les grands clubs sont parmi les plus connus, les plus puissants financièrement et qui regroupe les plus de grands joueurs. Le championnat est attractif, extrêmement disputé. Le Top 14 réalise les meilleures audiences récurrentes de tout le rugby mondial, semaine après semaine dans le rugby de club. Ça ne va pas si mal, mais on ne doit pas s’endormir. La concurrence est très importante et elle ne vient pas que du monde du sport, mais de partout. Le rugby compte aussi pour concurrent, le monde de l’e-sport, de Netflix, des réseaux sociaux… Ces mondes-là, il faut s’y adapter et être partie prenante.
Un mot pour conclure, sur votre première année à la direction d’un club sportif : quel bilan en tirez-vous et vous épanouissez-vous dans ces nouvelles fonctions ?
François Pesenti : Oui bien sûr. c’est une expérience formidable, parce qu’après trente ans de médias, c’est l’occasion d’être de l’autre côté de la barrière. J’ai beaucoup traité l’actualité des clubs, fédérations et de tous les événements sportifs, aujourd’hui être à l’intérieur d’une grande institution du sport français, c’est passionnant. On arrive, même à 50 ans, à découvrir beaucoup de choses. J’essaie d’emmener la couche de connaissance et la vision que j’ai acquise pour la mettre au service du club. Ça restera une expérience vraiment enrichissante. Je me rends compte de l’impact d’un club sur un territoire, auprès d’une communauté. Je me rends compte de la difficulté de créer l’alchimie qui fait que l’on gagne des titres. Je me rends compte du travail acharné, quotidien, mené tant du côté sportif que administratif du club. Ça fait au chaud au coeur de parcourir cette histoire là et je ne suis pas déçu. J’ai vécu une très belle expérience à RMC, avec des équipes formidables qui ont déplacé des montagnes, pendant de nombreuses années. Je revis un peu la même chose au RCT, il y a cette dynamique, cette foi, quelque chose au-dessus. A chaque fois en plus, c’est une marque en trois lettres. Il y a beaucoup de similitudes, dans l’énergie et le côté atypique de ces entreprises, parce qu’il y a beaucoup d’affectifs, d’investissements et de passion. Ce sont des métiers passion et il ne faut pas le perdre.